La grève féministe du 14 juin sous l’angle du droit du travail

27. Mai 2024

La grève féministe du 14 juin sous l’angle du droit du travail

Les explications qui suivent se limitent exclusivement à un point de vue juridique. Aussi, la grève prévue le 14 juin prochain n’est ni jugée d’un point de vue sociétal ni d’un point de vue politique. Dans toute la Suisse, certaines employées feront grève. Qu'est-ce que cela signifie pour l'employeur ? Quels droits et obligations les employeurs et les employés doivent-ils respecter en cas de grève ? Après un aperçu des bases légales, nous aborderons des questions pratiques.

Bases légales

La liberté syndicale garantie par la Constitution fédérale déclare les grèves autorisées en tant que manifestation de la liberté d'action (art. 28 de la Constitution fédérale). Toutefois, cette licéité présuppose que la grève « concerne les relations de travail » et « n'entre pas en conflit avec les obligations de maintenir la paix sociale ou de mener des négociations visant à la conciliation ». Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Le Tribunal fédéral (TF) a affirmé à plusieurs reprises l'existence d'un droit de grève dans le droit du travail suisse. La grève doit toutefois être licite. Seule la participation à une grève légitime ne viole pas le contrat de travail. Le Tribunal fédéral a défini les conditions d'une grève légitime de la manière suivante :   

  1. La grève doit être soutenue par un syndicat,
  2. elle poursuit des objectifs qui peuvent être réglés par une convention collective de travail,
  3. il ne viole pas les obligations de paix, et
  4. elle est proportionnée par rapport à l'objectif de la grève.

(cf. pour un examen approfondi des conditions posées par le TF, ATF 125 III 277, 132 III 122 et plus récemment arrêt BGer 4A_64/2018).

L'exigence de proportionnalité est la condition la plus problématique car sujette à interprétation ce qui peut amener à une insécurité juridique. Aussi quand une grève est proportionnée ou non ? Les points de vue de l'employeur et des travailleurs divergent probablement en raison de leurs intérêts respectifs. En cas de litige, il appartient toujours au juge de décider si la grève était proportionnelle à l'objectif de la lutte. La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises qu'une grève est disproportionnée lorsqu'elle viole le principe de l'ultima ratio (ultime recours), c'est-à-dire lorsque toutes les possibilités de négociation n'ont pas été préalablement épuisées.

L'obligation de garantir la paix constitue un autre point d'achoppement. En Suisse, la grande majorité des conventions collectives de travail prévoient une obligation de paix absolue, bien que seule une obligation de paix relative soit prévue par la loi (art. 357a al. 2 CO). Dans le cas du devoir de paix relative, la renonciation à des mesures de lutte se rapporte à tous les points réglés dans la CCT. L'obligation de paix absolue implique une renonciation à toute mesure de lutte pendant la durée de la convention. Une grève déclenchée par un syndicat en violation du devoir de garantir la paix n'est ainsi pas licite.

La grève des femmes est-elle légale ?

Pour juger de la légalité de la grève des femmes, il convient de se référer aux conditions fixées par le Tribunal fédéral :

  1. La grève est-elle soutenue par différents syndicats ? Si non, elle est déjà illicite.
  2. La grève des femmes poursuit-elle des buts pouvant être réglés dans une CCT ? Même si la grève vise différents objectifs visant à atteindre l'égalité des femmes et des hommes dans le monde du travail ; elle reste néanmoins motivée par des considérations politiques. Partant, elle n'est pas directement dirigée contre l'employeur et ne contient, en tant que telle, pas de revendications pouvant être réglées par une convention collective de travail.
  3. L'appel à la grève des femmes est lancé par différents syndicats (SSP, SYNA, UNIA). Or là où ces syndicats ont conclu des conventions collectives de travail avec obligation de paix, la grève ne devrait pas être légale. Dans tous les cas, elle serait illicite pour les conventions collectives de travail qui prévoient une obligation de paix absolue.
  4. La proportionnalité de la grève des femmes est une question épineuse et devrait dépendre en grande partie du type de moyen de lutte choisi (pauses de protestation, grève des vêtements, arrêt de travail), de sa durée dans le temps et du groupe professionnel concerné. Il est cependant difficile d'estimer dans quelle mesure la sensibilité sociale et politique se répercuterait sur l'interprétation judiciaire en cas de litige.


Cela étant, on peut légitiment penser, au vu des conditions susmentionnées fixées par le TF, qu’un tel type de grève est illicite. Mais en dehors de cette problématique, des questions concrètes se posent aux employeurs :

Puis-je interdire la participation de mes travailleuses à cette grève ?

La participation à une grève licite et la cessation temporaire du travail qui en découle ne constituent pas une violation du contrat de travail. En tant qu'employeur, je ne peux donc pas interdire la participation. En revanche, il en va différemment d'une grève illégale. Dans ce cas, la participation constitue une violation du contrat de travail. L'employeur a la possibilité d'interdire la participation via son droit de donner des instructions. Comme la grève des femmes n'est pas une grève licite, l’employeur peut effectivement en interdire la participation. Une telle interdiction ne vaut évidemment que pendant les heures de travail effectives.

Existe-t-il des alternatives à l’interdiction ?

L'employeur peut exiger que la participation à la grève se fasse que pendant le temps libre. Ainsi, en accord avec l’employeur, la participation peut être possible sur un congé non payé, en récupération des heures supplémentaires ou en prenant un jour de vacances.

La participation est-elle considérée comme du temps de travail ?

Selon la doctrine et la jurisprudence, l'employeur n'est pas tenu de payer le salaire pendant la grève. En effet, en cas de grève licite, le contrat de travail est considéré comme étant suspendu dans ses obligations principales. Aussi, l'obligation de travailler et de payer le salaire est suspendue pendant la grève licite et renaît ensuite. Dans le cadre de l'égalité des armes, l'employeur peut, de son côté, exclure temporairement du travail des employés qui souhaitent en fait travailler (lock-out). Ceci par exemple parce que le maintien de l'activité ordinaire n'est plus garanti en raison de la grève.

En tant qu’employeur, puis-je réclamer des dommages et intérêts ?

Une demande de dommages et intérêts ne peut être naître qu'en cas de violation du contrat et donc d’une participation à une grève illégale. Dans ce cas, le salarié est responsable envers l'employeur du dommage causé à ce dernier du fait de sa participation à la grève.

L’employeur peut-il résilier le contrat de travail ?

Si l'employeur prononce un licenciement ordinaire en raison d’une participation à une grève légale, il commet un abus de droit. En revanche, il en va autrement en cas de participation à une grève illicite. Dans ce cas, le licenciement ordinaire est valable et justifié. Récemment, le TF a même donné gain de cause à un employeur ayant licencié avec effet immédiat des grévistes car il les avait, en l’espèce et au préalable, avertit formellement que leur participation à une grève illicite serait sanctionnée par un licenciement sans délai.

La majorité des employés de ma crèche sont des femmes. Dois-je fermer la crèche le 14 juin prochain ?

Dans le cas de groupes professionnels ayant des tâches d'encadrement et d'assistance, le principe de proportionnalité exige, même en cas de grève licite, que l'approvisionnement des personnes nécessitant une assistance soit garanti. Les grévistes sont donc tenus de s'organiser de manière à ce que la prise en charge reste assurée. Cela peut se faire, par exemple, en limitant l'action syndicale dans l'espace, le personnel ou le temps.  

Un homme peut-il participer à la grève pour soutenir les revendications des femmes ?

La doctrine dominante rejette la licéité de la grève de solidarité. En l’espèce, le mouvement étant illicite sous l’angle du droit du travail, le travailleur devra obtenir l’autorisation de son employeur pour participer à la grève (congé non payé, jour de vacances, récupération des heures supplémentaires, heures négatives à récupérer à un autre moment…).


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