L'accord multilatéral sur le télétravail transfrontalier signé par la Suisse et certains États de l'UE et de l'AELE est en vigueur depuis le 1er juillet 2023. Après avoir situé ce nouvel accord dans le contexte de la sécurité sociale internationale, nous présenterons ses effets sur les relations de travail.
Les personnes qui exercent habituellement une activité salariée dans plusieurs États et qui effectuent une part substantielle, c'est-à-dire 25 % ou plus, de cette activité dans leur Etat de résidence sont généralement soumises à la législation de sécurité sociale du pays de résidence. Cette règle figure à l’article 13 du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale dans les pays de l'UE/AELE.
Sur la base de l'article 16 al. 1 du règlement (CE) n° 883/2004, la Suisse et certains États de l'UE et de l 'AELE ont signé un accord multilatéral afin de faciliter le télétravail depuis l'étranger à partir du 1er juillet 2023 dans l'intérêt des travailleurs concernés et de leurs employeurs.
Au 1er septembre 2023, les pays suivants ont signé l'accord : Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Espagne, Finlande, France, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Suède, Suisse. La liste actualisée des États signataires peut être trouvée sous ce lien.
L'article 3 de l'accord prévoit que les personnes qui travaillent dans l'État où est situé le siège de leur employeur peuvent travailler « jusqu’à 50% du temps de travail total » dans leur État de résidence sans aucune incidence sur le régime des assurances sociales.
En d'autres termes, en vertu de cet accord, le salarié est assujetti à la sécurité sociale de l’État du siège de l'employeur tant qu'il travaille entre 25% et 49,9% sous forme de télétravail dans son État de résidence. Le télétravail jusqu'à 24,9 % est évalué conformément aux règles de coordination de l'article 13 du règlement (CE) n° 883/2004 (pour plus d’informations à ce sujet, voir ci-après : « Conséquences de la non-applicabilité de l'accord »).
L'accord est applicable aux personnes auxquelles s'applique l'accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l'UE ou l'accord AELE qui effectuent du télétravail transfrontalier.
Cela signifie qu'un salarié de nationalité canadienne qui réside en France et travaille en Suisse n'entre pas dans le champ d'application de l'accord.
Il faut en outre que l’Etat du siège de l’employeur et celui où se trouve la résidence du salarié aient signé l’accord multilatéral.
Toutefois, l'accord ne s'applique pas aux personnes qui :
Cela signifie, par exemple, qu'un salarié de nationalité française résidant en France qui travaille en Suisse pour une entreprise ferroviaire et qui exerce une activité accessoire en France pour une autre entreprise ferroviaire n'entre pas dans le champ d'application de l'accord multilatéral.
Si l’autre employeur se situait en Suisse, l'accord serait alors applicable.
Que signifie concrètement l'expression « jusqu’à 50% du temps de travail total »? Le « Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC No 470 » explique que le seuil de 50% ne s'applique pas séparément pour chaque semaine, mais qu’il doit être tenu compte de la situation prévue pour les 12 mois civils à venir.
Ainsi, la limite de 50% peut être dépassée pendant une semaine ou un mois, à condition que la situation s'équilibre en moyenne annuelle. La condition est donc que la personne alterne avec une certaine régularité télétravail dans l’État de résidence et travail au siège l’employeur.
En premier lieu, il convient de déterminer si l'accord est applicable à la situation spécifique. En supposant que cela soit le cas, une demande doit être faite dans l’État de l'employeur afin que l'accord s'applique effectivement à la relation de travail.
Une salariée de nationalité française réside en France et travaille à Genève. Elle effectue 60% de son temps de travail (100%) dans son bureau à Genève et 40% en télétravail à son domicile.
Les conditions d'application de l'accord étant remplies :
Si la salariée augmente son temps de travail à domicile à 60%, l’accord multilatéral ne sera plus applicable et les règles de coordination du règlement (CE) 883/2004 s'appliqueront automatiquement, avec pour conséquence qu’elle sera soumise à la sécurité sociale en France.
Comment demander l’assujettissement au régime d’assurances sociales suisse?
L'employeur en Suisse peut introduire lui-même la demande via le système d'information ALPS en saisissant le type de cas « télétravail transfrontalier ». La demande est ensuite automatiquement transmise à l'institution de sécurité sociale étrangère de l’Etat de résidence du salarié.
L'employeur serait donc bien avisé de discuter sans attendre de la possibilité de maintenir l'assujettissement au régime suisse d'assurances sociales avec les salariés auxquels l'accord s'applique et qui souhaitent travailler jusqu'à 49,9% dans leur pays de résidence, puis de soumettre lui-même la demande. Si le choix se porte sur l’assujettissement aux assurances sociales suisses, l'employeur s’épargnera la tâche de devoir prélever les cotisations prévues par le système de sécurité sociale étranger et de les reverser à la caisse compétente.
Si la demande est acceptée par l'institution de sécurité sociale étrangère, une attestation A1 est automatiquement générée, qui certifie la compétence des caisses d'assurances sociales de l'État du siège de l'employeur, valable pour une durée maximale de 3 ans.
Dans le cas du télétravail dans un État qui n'a pas signé l'accord multilatéral ou pour un employeur ayant son siège dans un État qui n'a pas adhéré à l'accord, les règles de coordination ordinaires de l'article 13 du règlement (CE) n° 883/2004 s'appliquent. En vertu de cet article, un salarié domicilié dans un État de l'UE/AELE peut effectuer jusqu’à 24,9 % de son activité en télétravail à son domicile sans que cela n’ait d’incidence sur la sécurité sociale, le travailleur restant alors soumis à la sécurité sociale de l’État (UE/AELE) du siège de l'employeur.
Cette règle est applicable lorsque le télétravail est inférieur à 25%, même s’il est effectué dans un État signataire de l'accord multilatéral et que l’employeur est établi dans un État ayant adhéré à l'accord.
Si, par exemple, une personne effectue 20% de télétravail dans un État de l'UE/AELE pour un employeur établi en Suisse, les règles de sécurité sociale suisses s'appliquent, conformément au règlement (CE) n° 883/2004.
Toutefois, si cette même personne télétravaille entre 25% et 100% dans un État de l'UE/AELE qui n'a pas signé l'accord multilatéral, les règles de sécurité sociale de son Etat de résidence seront applicables.
Même si l'accord multilatéral ne s'applique pas dans un cas spécifique, le télétravail transfrontalier temporaire peut toujours être convenu sans que cela modifie le régime des assurances sociales.
En effet, si une personne travaille temporairement à 100% en télétravail dans un État de l'UE/AELE, un détachement est possible sur la base de l'article 12 al. 1 du règlement (CE) 883/2004, pour autant que les conditions ci-après soient remplies :
Les règles habituelles du détachement doivent également être respectées (cf. chiffre 2024 et suivants des Directives sur l’assujettissement aux assurances AVS et AI – DAA).
Si les conditions sont remplies, l'employeur peut adresser une demande de détachement auprès de la caisse de compensation AVS compétente via le système d'information ALPS (type de cas: «détachement») et obtenir ainsi l'attestation de détachement A1. De cette manière, la personne restera assujettie à la sécurité sociale en Suisse pendant la durée convenue.
Sur la base de ce qui précède, il est utile d’effectuer une analyse approfondie et précise avant les situations de travail et de télétravail transfrontaliers.
Il convient également de savoir que l’assujettissement au système de sécurité sociale d'un État ne signifie pas automatiquement que les règles du même État s'appliquent en matière fiscale. Le droit fiscal et le droit de la sécurité sociale ne sont pas coordonnés au niveau international et les compétences doivent être clarifiées séparément dans chaque cas. Nous relevons à cet égard que la Suisse et la France ont signé un accord fiscal en vigueur depuis le 1er janvier 2023, lequel permet d’effectuer jusqu’à 40% du temps de travail habituel en télétravail dans l’Etat de résidence, sans incidence sur le régime fiscal. Etant donné que cette limite est inférieure à celle de 49,9% prévue par la convention relative aux assurances sociales, une limitation du télétravail à 40% apparaît plus simple pour l’employeur suisse.
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