Ven, 3 novembre 2023
Aux termes de l’art. 339b al. 1 CO, le travailleur dont les rapports de travail se terminent après vingt ans ou plus a droit à une indemnité à raison des longs rapports de travail (ci-après : l’indemnité) s’il est âgé de 50 ans révolus. Le but principal de cette disposition légale, introduite en 1971, est d’aider à combler une lacune qui pourrait exister lorsque les prestations d’une institution de prévoyance font défaut ou sont insuffisantes (Message du Conseil fédéral du 25 août 1967, FF 1967 II 407).
La loi prévoit cependant que l’indemnité peut être réduite ou supprimée dans certains cas en lien avec la situation existante à la fin des rapports de travail (voir point B.) ou encore lorsqu’il existe des prestations de remplacement (voir point C.), de sorte que l’on peut se poser la question de savoir si cette indemnité a encore une raison d’être (voir point D.). Mais avant de traiter cette question, commençons par un bref rappel des règles applicables à la détermination de son montant.
L’indemnité doit correspondre au minimum à deux mois de salaire, les parties étant libres de convenir, par écrit, d’un montant plus important (art. 339c al. 1 CO). Un montant plus important peut également découler d’une convention collective de travail (CCT) ou d’un contrat-type (CTT), lesquels prévoient parfois l’application de barèmes. Dans le cas où le montant de l’indemnité n’est pas déterminé à l’avance, il peut être fixé par le juge selon sa libre appréciation en tenant compte, outre de l’âge et des années de service, de toutes les circonstances particulières telles que le montant de l’ancien salaire, les gratifications éventuelles, les perspectives d’avenir du travailleur, la situation faite par le nouvel employeur, les obligations familiales du travailleur et la situation financière de l’ancien employeur (ATF 115 II 30 du 16 janvier 1989, trad. JT 1989 I 601). L’indemnité fixée par le juge ne dépassera toutefois pas l’équivalent de huit mois de salaire (art. 339c al. 2 CO).
L’indemnité pourra être réduite ou même supprimée dans les hypothèses suivantes (art. 339c al. 3 CO) :
Pour ne pas perdre son droit à l’indemnité, le travailleur doit avoir eu des motifs justifiés de mettre un terme aux rapports de travail. Les tribunaux ont notamment reconnu l’existence de tels motifs lorsque la démission était donnée pour des raisons de santé, dans l’intention d’éviter un transfert d’entreprise ou dans la perspective d’une faillite probable (ou déclarée) de l’employeur (SUBILIA/DUC, ad art. 339c, p. 687, no 14; WYLER/HEINZER, p. 892 et réf. citées).
Pour réduire ou refuser l’indemnité, l’employeur devra pouvoir se prévaloir de justes motifs au sens de l’art. 337 CO. Si le licenciement immédiat s’avère injustifié, le travailleur pourra prétendre, en sus des prétentions prévues à l’art. 337c CO, à l’indemnité à raison de longs rapports de travail dans l’hypothèse où les conditions auraient été réalisées si les rapports contractuels avaient pris fin à l’échéance du délai ordinaire.
Le texte de la loi citant expressément le cas du licenciement immédiat, il doit être considéré que l’employeur qui renonce à licencier avec effet immédiat en privilégiant le congé ordinaire renonce à faire usage de son droit à la réduction.
En vertu de son devoir de fidélité, le travailleur peut être amené à renoncer à tout ou partie de l’indemnité si son paiement constituerait pour l’employeur une charge insupportable.
Il est relevé que la faillite ne constitue pas une gêne. Le travailleur pourra produire sa créance dans l’état de collocation, en première classe puisqu’il s’agit d’une créance salariale (SUBILIA/DUC, ad art. 339c CO, p. 688, no 17, et p. 689, no 20).
Il est utile de rappeler qu’un licenciement qui tend à priver le travailleur d'une prestation contractuelle particulière dont l'exécution est liée à un moment déterminé des rapports de travail, ce qui est le cas de l’indemnité à raison de longs rapports de travail, est abusif (ATF 4C.388/2006 du 30 janvier 2007).
Lorsque le travailleur a droit à des prestations d’une institution de prévoyance, celles-ci peuvent être déduites de l’indemnité à raison de longs rapports de travail dans la mesure où elles ont été financées soit par l’employeur lui-même, soit par l’institution de prévoyance au moyen de la contribution de l’employeur (art. 339d al. 1 CO). Dans ce dernier cas, il conviendra donc de déduire de l’indemnité la part des prestations de prévoyance qui ont été financées par l’employeur. Si cette part est plus importante que l’indemnité à raison des longs rapports de travail (= 2 mois de salaire minimum), alors aucune indemnité ne sera due puisque l’employeur aura déjà suffisamment contribué à la prévoyance professionnelle de son employé. La question de savoir si ce sont uniquement les cotisations qui doivent être prises en compte pour déterminer la part financée par l’employeur ou si l’on peut y ajouter les intérêts n’est toutefois pas tranchée. Il nous apparaît pourtant juste de les prendre en considération puisque l’employeur, en contribuant à l’avoir de prévoyance de son employé, a ainsi été empêché d’investir cet argent d’une autre manière.
Exemple: Indemnité de Fr. 32'000.– (8 mois à Fr. 4'000.–); avoir de vieillesse, y compris les intérêts, (ou prestation de libre passage) annoncé par l’institution de prévoyance: Fr. 70'000.–. La moitié de ce montant (Fr. 35'000.–) provient de la part patronale de la cotisation (intérêts compris). Ce montant dépasse l’indemnité prévue qui n’est donc pas due. Dans l’exemple, si l’avoir de vieillesse n’était que de Fr. 40'000.–, l’employeur devrait encore, à titre d’indemnité à raison de longs rapports de travail, Fr. 12'000.–.
L’employeur est également libéré de l’obligation de verser une indemnité de départ dans la mesure où il s’engage à payer dans le futur des prestations de prévoyance au travailleur ou les lui fait assurer par un tiers (art. 339d al. 2 CO). On peut citer comme exemple le cas de l’employeur qui a conclu une assurance vie en faveur de son employé ou qui continue de verser régulièrement et sur plusieurs années une rémunération à son ancien employé retraité.
Compte tenu du caractère subsidiaire de l'indemnité qui était, à l’origine, «uniquement destinée à combler la lacune qui existe là où il n'y a pas d'institution» de prévoyance au profit des travailleurs âgés ou «lorsque les prestations de telles institutions sont insuffisantes» (Message du CF du 25 août 1967), l’art. 339b CO a perdu beaucoup d’importance avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP). En effet, depuis le 1er janvier 1985, l’affiliation à une institution de prévoyance professionnelle est obligatoire lorsque le collaborateur perçoit un salaire annuel supérieur au seuil fixé par la LPP, de Fr. 22'050.- en 2023. Cette affiliation obligatoire a pour conséquence que la grande majorité des travailleurs recevra des prestations de prévoyance au moment de la retraite. Par ailleurs, les employeurs ayant l’obligation de payer au moins la moitié des cotisations (art. 66 LPP), leur contribution à la constitution de cet avoir vieillesse sera significative. Il en découle que les cas dans lesquels une indemnité (réduite) devra être versée car la prestation de remplacement (LPP) n’est pas suffisante sont peu nombreux. Si l’on ajoute à cela les autres causes d’extinction du droit (démission sans motifs justifiés, licenciement immédiat pour justes motifs ou gêne), la liste se réduit encore plus.
L’indemnité à raison de longs rapports de travail garde néanmoins une raison d’être lorsque l’avoir de prévoyance constitué par le travailleur est insuffisant, ce qui est notamment le cas lorsque le salaire annuel est inférieur à Fr. 22'050.- (en 2023) et n’est donc pas soumis à la LPP (travailleur à temps partiel). Dans le cas de petits salaires soumis à la LPP, en revanche, la durée de vingt ans permettra vraisemblablement à l’employeur de financer des prestations LPP dans une mesure au moins équivalente à l’indemnité, laquelle, rappelons-le, peut se limiter à deux mois de salaire. A l’opposé, l’indemnité pourra être due à un travailleur qui perçoit un salaire annuel dépassant le salaire maximum LPP (Fr. 88'200.- en 2023) et qui ne possède pas de couverture pour cette partie supplémentaire du salaire (LPP surobligatoire). Il est toutefois rare, dans ce cas, que l’employeur ne mette pas en place une couverture LPP de la part surobligatoire.
Comme nous venons de le voir, les raisons dont peut se prévaloir un employeur pour réduire ou refuser l’indemnité pourtant prévue par la loi sont nombreuses, de sorte que cette indemnité est aujourd’hui rarement versée si elle n’est pas prévue par un contrat, une convention collective ou un contrat-type. A fortiori, peu de travailleurs atteignent et atteindront à l’avenir les vingt années d’ancienneté requises, la préférence allant aujourd’hui à l’accumulation des expériences et au challenge plutôt qu’à la réalisation de toute une carrière professionnelle auprès d’un même employeur.
Pour autant, la disposition légale demeure et doit donc être considérée à chaque fois que des rapports de travail se terminent après vingt ans au moins, quitte à arriver à la conclusion, ce qui sera souvent le cas, que l’indemnité n’a, en définitive, pas à être versée.
Références bibliographiques :
Subilia Olivier, Jean-Louis Duc, Droit du travail, éléments de droit suisse, Lausanne 2010
Wyler Rémy, Heinzer Boris, Droit du travail, 4e éd., Berne, 2019
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